Budaörs (Wudersch), le 19 janvier 2016
Je salue M. Koschyk, le représentant du gouvernement allemand. Je salue M. Barnabás Lenkovics, le président de la Cour constitutionnelle, ainsi que les membres de la Cour. Je salue les représentants des minorités de Hongrie, ainsi que M. le Maire. Je salue le président de l’Académie des Arts hongroise, ainsi que les représentants des Eglises historiques. Et je salue chaleureusement tous ceux qui sont venus aujourd’hui ici, à Budaörs, pour commémorer ensemble un des événements douloureux et indignes de l’histoire du siècle passé.
Les années 40 nous présentent l’histoire des souffrances ininterrompues de la Hongrie. Invasions, expulsions, persécutions, wagons qui se suivent, trains de la honte. L’intensité, les buts et les origines ont pu varier, mais la conclusion a été la même. Lorsque la Hongrie a été envahie – que ce soit depuis l’ouest ou depuis l’est – la conséquence en a été une accumulation de souffrances. L’histoire du 20ème siècle nous montre que lorsque la Hongrie a perdu son indépendance, elle a repoussé, dépouillé, expulsé et réduit au désespoir ses propres citoyens, les hommes et les femmes à la protection desquels et à la préservation de la valeur desquels elle aurait dû veiller. Que ce soit pour nous une leçon éternelle : nous ne devons pas donner la moindre chance à l’avènement d’un monde où de telles mesures et de telles listes puissent voir le jour. C’est un avertissement éternel à reconnaître que seul le gouvernement fort d’un Etat souverain est capable de protéger ses citoyens de toutes origines face aux forces extérieures et aux alliés intérieurs de celles-ci.
Voilà 70 ans, le 19 janvier 1946, le premier train transportant en Allemagne nos concitoyens allemands expulsés quittait la Hongrie. Ce seul jour du 19 janvier, mille hommes et femmes ont été ainsi emmenés. Dès le début de février, Budaörs était entièrement vidée de sa population, et des centaines de localités habitées par des Souabes sur tout le territoire de la Hongrie n’allaient pas tarder à connaître le même sort. L’opération était officiellement dénommée «déplacement», mais cette expression était loin de correspondre à la vérité. Ce que l’on appelait déplacement était en réalité le dépouillement et l’expulsion des Souabes de Hongrie. Ils ont été dépouillés de leur maison et de leur patrie. Ils ne pouvaient emporter de leur vie passée, dans leur route vers les villes d’Allemagne réduites en poussière par les bombardements, que ce qui pouvait entrer dans un baluchon de 50 kilos. Et ce ne sont pas seulement ceux qui avaient été enrôlés dans l’armée allemande pendant la guerre qui ont dû partir de chez eux, mais il suffisait, pour figurer sur la liste, que quelqu’un se soit déclaré d’origine allemande ou que, tout en se déclarant hongrois, sa langue maternelle ait été l’allemand. Et il suffisait aussi que l’intéressé ait montré qu’il aimait suffisamment la Hongrie pour ne pas s’être inscrit au parti communiste…
Voilà 70 ans, une déportation déguisée en déplacement a sévi en Hongrie et dans plusieurs pays d’Europe. Et il ne s’est trouvé aucun responsable de bon sens, y compris au sein des représentants des puissances victorieuses, pour s’y opposer. C’était une époque où l’Europe était incapable de s’opposer aux sirènes de la déraison. Au lieu de tenir tête, au lieu d’appeler à la rescousse sa racine chrétienne, elle a préféré capituler. Elle a même capitulé deux fois, successivement. Elle a cédé d’abord aux sirènes du national-socialisme, puis à celles du socialisme international. C’est un bien funeste dénominateur commun des socialismes – le national et l’international – qu’ils aient été capables, sous le prétexte de la culpabilité collective, de fourrer des populations entières dans des wagons à bestiaux.
Les Allemands de Hongrie sont porteurs, jusqu’à nos jours, d’une culture dont les fils sont imbriqués dans le tissu de la culture hongroise. Si nous tirons sur ces fils, c’est tout le tissu qui se défait. La communauté souabe de Hongrie est un élément organique et inaliénable de la culture hongroise et de notre pays. Si, voilà 70 ans, les expulsés avaient emporté avec eux tout ce que les Allemands de Hongrie ou les hommes et les femmes d’origine allemande ont fait, depuis leur arrivée, pour l’économie et la culture hongroise, la Hongrie se retrouverait bien plus pauvre aujourd’hui. Ils auraient pu emporter, par exemple, notre première histoire de la littérature hongroise (Ferenc Toldi), ils auraient pu emporter, entre autres, les bâtiments du Parlement (Imre Steindl) et du Musée de l’Artisanat (Ödön Lechner), ils auraient emporté une partie significative de l’imprimerie hongroise, de son industrie mécanique et de sa science médicale. Il était un temps où la Hongrie était la patrie de plus d’un demi-million de familles laborieuses, bien à leur place, fières de leur origine allemande. Nous avons vécu ensemble pendant de longs siècles, et des centaines de milliers de soldats hongrois et allemands reposent côte à côte dans toutes les contrées d’Europe. C’est ensemble que nous avons résolu nos problèmes quotidiens, tout comme c’est ensemble que nous avons reconstruit la Hongrie après les dévastations des guerres et des crises. Et nous avons beaucoup appris l’un de l’autre. Nous autres Hongrois avons par exemple appris des Souabes que le travail consciencieux et assidu est la seule voie possible d’un développement honnête. C’est de cette communauté de destin que les Allemands de Hongrie ont témoigné lorsqu’ils se sont rangés sous la bannière de Kossuth au lieu de celle de l’aigle à deux têtes. C’est ce qu’ils ont confirmé, lorsqu’ils ont combattu au coude-à-coude avec les Hongrois sur les fronts de la première guerre mondiale. C’est cette confraternité qu’ils ont assumée lors du recensement de 1941, en se déclarant de nationalité hongroise mais de langue maternelle allemande. Et enfin, c’est encore à ce sentiment qu’ils ont obéi lorsque, quelques années plus tard, ils ont été nombreux à revenir, pour partager la pauvreté, la misère et les vexations du régime communiste.
Nous connaissons tous l’histoire des trains de la honte, les lieux de leurs départs et de leurs arrivées. Des millions d’hommes et de femmes ont dû payer de leur vie pour que nous réalisions que nous, les nations d’Europe, ne sommes fortes qu’ensemble. La raison déterminante de l’unification de l’Europe était justement d’éviter qu’il puisse nous arriver de nouveau de telles horreurs. La coopération européenne est née de la constatation que ce qui unit les nations d’Europe est bien plus fort que ce qui les divise. Nous voyons tous de nos propres yeux comment se décompose, jour après jour, la sécurité de l’Europe, comment est mis en péril son mode de vie basé sur sa culture chrétienne. Aujourd’hui, en Europe, la question n’est pas de savoir si les nations se tournent les unes contre les autres, mais bien plutôt de savoir s’il y aura une Europe, si nous sommes capables de protéger la culture et le mode de vie européen, et au bout du compte quel continent nous transmettrons en héritage à nos enfants.
La leçon la plus importante de l’histoire des années 40, où les routes de l’Europe se remplissaient inlassablement de populations chassées de chez elles, affamées et luttant pour leur survie, est que l’on ne peut pas racheter une faute par une faute, bien moins une faute présumée par une faute avérée, et encore moins une faute présumée par une punition collective. Nous pouvons être fiers que les Hongrois, après vingt années troublées de transition postcommuniste, aient enfin décidé d’adopter une structure citoyenne, et que l’Assemblée nationale ait enfin adopté la première constitution démocratique et citoyenne de la Hongrie.
Le pilier essentiel du monde citoyen est l’équité, qui donne à chacun ce qui lui revient. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a décidé en 2013 de faire du 19 janvier la Journée du Souvenir de la déportation et de l’expulsion des Allemands de Hongrie, en memento éternel des 65 000 hommes et femmes emmenés en camp de travail forcé en Sibérie et des familles allemandes vouées à la déportation.
Mais l’anniversaire d’aujourd’hui n’est pas seulement une commémoration. Il est aussi un appel à ne pas oublier tout ce que les Allemands de Hongrie ont fait et font jusqu’à ce jour pour notre pays.
Le gouvernement hongrois soutient la préservation de l’identité de nos concitoyens allemands vivant chez nous. Depuis 2014, il est possible de prendre la parole en allemand dans l’Assemblée nationale, le porte-parole de la minorité allemande peut s’exprimer en allemand dans l’enceinte du Parlement. Nous sommes heureux que le nombre des écoles allemandes ait été multiplié par cinq au cours des quatre dernières années, et que le nombre de leurs élèves ait été multiplié par trois. Et nous sommes également fiers que le nombre de ceux qui se déclarent membres de la communauté des Allemands de Hongrie soit aujourd’hui proche des 200 000 personnes.
Je voudrais que l’histoire des souffrances des Allemands de Hongrie nous rappelle que l’homme a un droit inaliénable à vivre là où il est né, dans la culture, dans le pays, dans la localité où il se considère chez lui. Quant à nous, je souhaite que le Bon Dieu nous donne suffisamment d’endurance et de patience pour nous permettre de protéger et de préserver notre Europe, et qu’il nous donne suffisamment de force pour nous permettre de faire respecter le droit de chacun à rester sur sa terre natale, y compris en-dehors de l’Europe. Au nom du gouvernement hongrois, je souhaite à nos compatriotes allemands de Hongrie de garder le souvenir de leurs prédécesseurs, et de faire en sorte que leurs enfants soient de bons Hongrois élevés dans la culture allemande. Nous rendons hommage aux victimes. Nos pensées accompagnent ceux qui souffrent. Nous nous inclinons devant le souvenir des innocents. Reconnaissance et gloire à ceux qui ont apporté leur aide à la détresse des Allemands de Hongrie.
Vive nos concitoyens allemands!