Budapest, le 25 avril 2016
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre , Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Cardinal , Messieurs les représentants du pouvoir judiciaire hongrois, Mesdames et Messieurs,
J’ai été sollicité pour prononcer un discours de clôture, ce qui dans l’acception courante de ce terme revient à résumer les débats. A ma décharge, je dois vous préciser que je ne me suis pas proposé pour cette tâche, on m’a tout simplement fait figurer à la fin. Ce qui veut dire que le fait que je prenne la parole à l’issue de la conférence pour en résumer les débats ne signifie pas que je me sente qualifié pour le faire.
Mesdames et Messieurs,
József Szájer a dit que nous devons sourire. Et il a dit, textuellement, que ce sourire doit être européen et courtois. Cela veut dire que notre sourire ne doit être ni supérieur ni goguenard. Je demande donc à tous de surmonter la tentation d’y céder, car il y en aurait bien des raisons. Notre Constitution n’est en effet pas née dans le cadre d’un débat scientifique, mais dans le combat. Dans un grand combat politique. Et comme dans tout combat politique, il y a des vainqueurs et il y a des vaincus. Nous tous qui sommes réunis ici aujourd’hui, nous sommes les vainqueurs. C’est nous qui avons gagné cette bataille, et sans cette victoire la Hongrie n’aurait pas aujourd’hui de constitution.
S’il est vrai que ce sont les vainqueurs qui sont ici, nous devons toutefois répondre aussi à la question de savoir qui a gagné, parce que la nature des combats politiques veut que le vainqueur et le gagnant ne se confondent pas tout à fait. Surtout lorsque l’un des protagonistes du combat – c’est-à-dire, en l’occurrence, nous – n’aborde pas le champ de bataille dans l’intérêt de sa propre victoire, mais dans l’intérêt de quelqu’un d’autre, de quelqu’un de plus grand et de plus important que lui. Je veux dire par là que c’est la Hongrie, ce sont les citoyens de la Hongrie qui ont gagné à notre victoire, et si je juge correctement le temps qui s’est écoulé depuis, nous pouvons dire que notre victoire a donné une base solide à l’existence de la Hongrie et de ses citoyens. Une base solide capable de jeter les bases d’une longue ère de progrès. En fonction de sa configuration sanguine, chacun d’entre nous est soit optimiste, soit pessimiste ; de la même manière, certains d’entre nous distinguent déjà les signes annonciateurs de cette ère de progrès.
Je voudrais rappeler que le peuple hongrois n’est pas resté un observateur passif dans ce combat pour la Constitution. Il n’en a pas encore été question aujourd’hui dans ces termes, mais il faut rappeler que l’adoption de la Constitution a été précédée d’une consultation sur les points les plus importants qui devaient y figurer, et que nous avons tenu compte sans aucune exception de l’opinion majoritaire qui s’est exprimée dans cette consultation. Cela ne m’a pas toujours fait plaisir, parce que nous avons été obligés de prendre en compte des points de vue avec lesquels je n’étais personnellement pas toujours d’accord, mais l’avis du peuple hongrois était clair et massif. Par exemple sur le point de savoir s’il fallait donner aux enfants un droit de vote, exerçable par leurs parents jusqu’à leur majorité, que j’estimais être une proposition intéressante – surtout à la lumière du vieillissement des populations européennes –, une des voies pouvant mener à un équilibre politique. Mais il se trouve que sur la base de motivations diverses – que l’on peut deviner sans trop de difficultés – le peuple hongrois a répondu non à cette proposition, et c’est pourquoi elle n’a pas été inscrite dans la Constitution de la Hongrie.
Permettez-moi de vous dire maintenant quelques mots – toujours par référence à notre combat – sur l’immensité de la tâche à laquelle nous nous sommes attelés. Plus précisément pour faire suite à ce que M. le Président Pál Schmitt nous a rappelé tout à l’heure : nous devions en effet satisfaire en même temps à nos obligations européennes, et la tentation était grande – de nombreuses sirènes nous le chantaient – de ne pas forcer le processus constitutionnel, surtout pas au début de la législature, au début de notre législature commencée en 2010, parce que cela risquait d’avoir une incidence défavorable sur notre présidence de l’Union, que nous devions assurer dès l’année suivante. Je voudrais exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui ont su résister aux chants de ces sirènes, et qui ont compris que dans notre métier, dans la politique, dans notre vocation, le « timing » est au moins aussi important que les sujets de fond. Cela ne sert à rien d’avoir raison, y compris dans une perspective historique, si l’on manque le moment de la réalisation, car les plus nobles considérations restent alors en friche. Un grand merci, donc, au soutien de ceux – et je veux parler ici des membres d’alors des groupes parlementaires du Fidesz et du Parti Chrétien-Démocrate – dont la décision a permis de mener à bien simultanément ces deux tâches. Nous avons mené à bien notre « devoir européen », et pendant ce temps nous n’avons pas perdu une seule journée au plan interne. Car c’est tant que nous avons de l’énergie – parce que l’on pense toujours que c’est au début de la législature que l’on a de l’énergie et l’on s’étonne ensuite que cela reste le cas y compris à la fin, mais cela, on ne peut pas le savoir au début – c’est donc quand nous nous sentons pleins d’énergie, au début de la législature, qu’il importe de s’atteler à de telles tâches de grande envergure.
Nous nous sommes effectivement attelés à une rude tâche. Ses contours ne se dessinent peut-être même pas très clairement devant nous. Il en est ainsi peut-être parce que nous ne ressentons pas le gigantesque changement intervenu entre le milieu des années 90 et le début des années 2010 dans notre patrie élargie, l’Union européenne, mais je pourrais dire aussi dans le monde culturel occidental. Au milieu des années 90, dans la période qui a immédiatement suivi la transition démocratique et où les autres pays d’Europe centrale se sont attelés à l’élaboration de leurs nouvelles constitutions respectives, le phénomène est resté pratiquement sans écho. Ce qui peut s’expliquer, bien entendu, par le fait que ces Etats étaient encore à l’extérieur de l’Union européenne, mais cette explication est sans doute insuffisante. L’Europe est restée d’un remarquable silence lorsque les Polonais, les Tchèques, puis tous les autres ont adopté leurs nouvelles constitutions au milieu des années 90, et si nous en avions fait autant au même moment – car les conditions constitutionnelles et politiques en existaient après 1994, parce que la majorité parlementaire de la coalition du parti socialiste et de la Fédération des démocrates libres SZDSZ dépassait le seuil des deux tiers équivalant à la majorité constituante – nous aurions pu adopter nous aussi, dans le même temps, notre nouvelle constitution. Aujourd’hui, nous pouvons évidemment nous dire que grâce au Ciel ils n’en ont pas été capables, mais s’ils l’avaient fait à l’époque, quel qu’aurait été le contenu de cette constitution – même, horribile dictu, similaire à la nôtre – personne ne s’y serait intéressé au sein de l’Union européenne. Mais le monde a énormément changé au cours des vingt années qui ont suivi, et dans ce débat il ne sert plus à rien de demander à ceux à qui la moutarde monte au nez parce que la Constitution hongroise commence par le premier vers de l’hymne national, de bien vouloir ouvrir la Constitution grecque dont tout le préambule n’est autre qu’un exposé théologique sur la nature de la Sainte Trinité. Mais il est clair que cela n’a suscité aucune effervescence, alors que l’unique phrase qui fasse référence à Dieu dans la Constitution hongroise a été capable de provoquer un scandale européen. Elle était donc bien rude, la tâche à laquelle nous nous sommes attelés, et je voudrais faire savoir ici à tous ceux qui n’ont pas pris part à ce travail que nous savions parfaitement à quelles attaques nous aurions à faire face. Certains ont peut-être été surpris par le degré d’agressivité manifesté, mais nous étions parfaitement au fait du scénario des agressions, et aussi du fait que nous serions frappés au cœur. Ceux qui ne le voyaient pas souffraient, déjà, du syndrome de la naïveté politique. Nous savions parfaitement ce qui allait se passer, nous étions parfaitement au courant de ce qui nous attendait.
C’est pour cette raison que le moment est sans doute venu ici de rendre un chaleureux hommage à M. le Président Pál Schmitt, parce que lui aussi savait parfaitement – je peux l’avouer maintenant : s’il ne le savait pas de lui-même, je me suis chargé de le lui dire – ce que seront les conséquences de l’apposition de sa signature au bas de cette Loi fondamentale. J’ai eu l’occasion de dire, à l’époque, que les forces extérieures et étrangères ne le lui pardonneront jamais – ni à lui, parce que c’est sa signature qui y figure, ni à nous non plus. C’est très grave, et cela nous investit d’une grande responsabilité, parce que s’ils ne le lui pardonneront jamais, nous ne devrons jamais l’oublier à son égard. Monsieur le Président, merci!
M. le président de l’Assemblée nationale László Kövér nous a dit que même si la fumée s’est dissipée, même si les flammes se sont éteintes, les braises sont restées : les braises du débat politique que nous avons connu pendant le processus constitutionnel sont toujours là. Je voudrais rebondir sur cette observation. Je pense que dans le monde de la politique il y aura toujours des réactions d’hostilité, y compris pour les décisions de grande envergure, et même surtout vis-à-vis d’elles. Il y aura toujours des débats d’élite autour des constitutions, c’est inévitable. Ce serait peut-être inévitable dans tous les pays du monde, mais c’est tout particulièrement le cas en Hongrie parce que nous sommes un pays de haute culture. Notre pays a des élites, des catégories de penseurs qui produisent toujours davantage d’idées que l’on ne peut en mettre en pratique. C’est pourquoi ces débats ne sont pas près de s’éteindre. Et si ces débats ne pourront jamais arriver à un point de stabilisation, il faut se poser la question de savoir si une constitution peut vraiment être solide. C’est une question majeure, et ma réponse est qu’une constitution, une loi fondamentale ne peut pas seulement être solide sur la base de sa logique propre et de la pureté de sa forme, mais surtout dans la mesure où elle jette les bases d’une ère de progrès. Peu importe qu’il soit pour nous déprimant de considérer comme attrayants les cadres théoriques abstraits du processus constitutionnel, la pérennité d’une constitution est bel et bien fondée sur son succès politique et économique concret. Si elle est suivie d’une ère de progrès, l’ordre constitutionnel se trouvera solidement établi. Une constitution a beau obéir à la logique la plus irréprochable, si elle est suivie d’une période d’échecs et de rebuffades, ce n’est qu’une question de temps pour que les bases de cette constitution soient ébranlées. Nous avons donc besoin de succès si nous voulons que notre Loi fondamentale soit durable, nous avons besoin de succès dans toutes les dimensions, dans tous les domaines de la démographie, de la culture, de la vie économique.
M. le président de l’Assemblée nationale a également fait remarquer que les idées, les orientations spirituelles énoncées dans la Constitution et les concepts opposés s’excluent mutuellement. Je ne peux pas le nier, mais la question est plutôt de savoir comment prendre acte de cette constatation. Est-il possible de vivre en paix, dans le respect de la Loi fondamentale en vigueur, tout en professant des conceptions s’excluant mutuellement quant aux bases de la constitution ? Selon moi, c’est possible, c’est une question de volonté. Selon moi, il est possible de cohabiter pacifiquement si nous faisons nôtre une vertu, la vertu peut-être la plus importante des démocraties modernes, que l’on pourrait appeler la culture du « désaccord pacifique ». La démocratie donne à cette culture un cadre approprié, car en démocratie, on ne fracasse pas les têtes des parties opposées, mais on les décompte, rendant ainsi possible la cohabitation de ceux qui professent des opinions différentes. Cela vaut aussi pour les débats sur les constitutions.
M. le ministre Trócsányi nous a rappelé que sa mission en tant que ministre de la Justice consiste à protéger la Constitution de la Hongrie. Il a effectué un travail remarquable dans ce domaine. Il nous a présenté ici le point de vue du gouvernement, ce dont je le remercie. Ce dont nous ne pouvons en revanche pas être entièrement satisfaits – et ceci n’a pas trait à son activité de ministre de la Justice, mais au fonctionnement de l’ensemble de l’administration hongroise – c’est que les principes exposés dans la Constitution ne se traduisent que très lentement dans les actes juridiques de niveau inférieur, y compris les lois et les décrets, et encore plus lentement dans les décisions administratives et judiciaires. Pour prendre un exemple particulièrement douloureux : la Constitution exprime avec une netteté beaucoup plus grande qu’auparavant, avec mention de responsabilités claires, le principe de la prise en charge des parents, or nous n’avons pratiquement rien vu, à ce jour, de sa mise en pratique concrète. Et je crois que nous n’aurions pas de mal à trouver bien d’autres exemples de même nature.
Un grand merci à M. le juge constitutionnel Tamás Sulyok pour son intervention sur le rapport entre le droit communautaire et le droit des Etats-membres. Il nous a fort opportunément rappelé quels dangers une interprétation absolutiste du principe de primauté fait peser sur la souveraineté de la Hongrie. Monsieur le juge, je pense comme vous que tôt ou tard nous en arriverons à une procédure judiciaire, à une procédure devant la Cour de Justice de l’Union européenne, dont l’objet sera la détermination de l’identité constitutionnelle, et quelque chose me souffle que c’est le différend actuel sur la politique migratoire qui nous portera bientôt devant cette très honorable Cour de Justice, lorsque nous devrons y débattre de ce sujet, et la Cour devra clore ce débat par la décision qu’elle rendra. Il faut faire remarquer aussi – comme l’a précisé M. le juge Sulyok – qu’il ne s’agit pas simplement là d’une question juridique. La souveraineté n’est pas seulement une question juridique. C’est pourquoi il est important qu’avant même le débat juridique le peuple hongrois soit mis en mesure, au travers d’un référendum vigoureux, d’exprimer clairement qu’à ses yeux il ne s’agit pas seulement d’une question constitutionnelle, mais bien d’une affaire fondamentale de souveraineté.
Merci aussi au président de la Kúria , M. Péter Darák, pour ses propos. Je me réjouis que le thème qu’il a abordé n’est pas le thème principal de notre conférence, à savoir quelles sont les perspectives historiques du rapport entre la Cour constitutionnelle et la Kúria. Je ne rappellerai pas non plus ici les débats qui se sont formés au moment de la rédaction de la Constitution et où nous nous interrogions sur le point de savoir, dans le cadre de la définition des nouveaux domaines de compétence juridique de la Cour constitutionnelle prévus dans la Loi fondamentale, comment il fallait interpréter le rôle, et surtout l’avenir de la Kúria, et s’il était nécessaire de conserver la Cour constitutionnelle et la Kúria comme deux juridictions distinctes. Les propos de M. le Président nous montrent que ce débat est aujourd’hui au point mort – ce qui ne veut pas dire qu’il est clos – et il nous a clairement laissé entendre qu’il pourra encore y avoir des débats d’interprétation, comme il l’a dit, autour de la répartition des tâches constitutionnelles. Je le remercie aussi d’avoir évoqué la liberté de réunion, qui nous préoccupe beaucoup et dont nous sommes d’accord pour envisager sans tarder la refonte de la réglementation. Et merci aussi de s’être engagé à ce que la Kúria procède au recensement de son expérience quant au fonctionnement pratique de la Constitution, et d’en livrer les résultats au débat public.
M. le député Szájer a évoqué la mémoire de Pál Vastagh , nous rappelant le moment où la gauche a adopté, à l’époque de notre adhésion à l’Union européenne – lorsque nous étions dans l’opposition, donc en minorité, et même en très forte minorité –, l’idée que nous ne renonçons pas à notre souveraineté, mais que nous nous apprêtons à exercer un certain nombre de droits liés à la souveraineté en commun avec les autres nations d’Europe. Que la gauche hongroise ait accepté cette approche est son très grand mérite, même si tous ses représentants n’ont pas toujours compris de quoi il s’agissait exactement. Mais je pense que cette décision était bien plutôt le résultat du travail pédagogique héroïque de notre collègue József Szájer, devant lequel je n’hésite pas à dire : chapeau bas.
M. le Président Pál Schmitt nous a rappelé sa conversation avec le Saint Père, et cela me donne l’occasion de révéler maintenant le secret historique suivant : nous ne devons pas seulement la première ligne de notre Constitution à Ferenc Kölcsey , mais également à József Szájer qui, avec la citation de notre hymne national, a coupé le nœud gordien consistant à rappeler d’une certaine manière dans la Constitution, au-delà de la référence aux racines chrétiennes, le rapport au Bon Dieu de notre communauté sans que cela soit en contradiction avec l’approche européenne moderne de la liberté de religion. Et cette solution, à savoir que la première ligne de notre Constitution soit la première ligne de notre hymne national, de notre prière nationale, et qu’avec cela nous exprimions cette relation le plus clairement possible – puisque les premiers mots de la Loi fondamentale hongroise, repris de l’hymne national, sont : « O Dieu, bénis les Hongrois » – règle ainsi cette problématique de manière élégante, comme il l’a dit : avec un sourire courtois et européen.
Mesdames et Messieurs,
Après tout cela, qu’il soit permis à l’auteur du discours de clôture, outre de résumer les pensées des autres, de faire bénéficier son auditoire de quelques considérations finales. C’est ce que je vais faire, quoique dans des limites de temps étroites. Je voudrais attirer votre attention sur une intéressante contradiction, qui est aujourd’hui une source de tension dans l’Union européenne : alors que l’Union européenne n’a pas de solutions, ni même de propositions pouvant sembler viables à nombre de questions de très vaste envergure – crise financière, crise de croissance, crise migratoire, crise du terrorisme, pour n’en citer que quelques-unes – la Hongrie et les autres pays d’Europe centrale ne cessent, depuis 2010, de présenter quelque chose, quelque chose de nouveau. L’Europe centrale se caractérise par sa capacité d’action, son énergie vitale et créatrice.
Ce n’est peut-être pas sans raison que j’inscris tout cela dans une perspective centre-européenne, car les performances économiques de l’Europe centrale dépassent largement, du point de vue de la croissance, la partie occidentale « traditionnelle » de l’Europe. Les cultures nationales y vivent leur renaissance, dont le meilleur exemple est la grande foire du livre hongroise qui vient de s’achever et où les représentants les plus éminents de la littérature slovaque étaient présents avec 50, 60 ou même 70 ouvrages. Tout cela montre parfaitement que cette renaissance spirituelle que nous connaissons de notre côté, puisque la fréquentation de cette foire du livre a battu tous les records, n’est pas un phénomène purement hongrois, et peut être interprétée dans une dimension centre-européenne. Qu’est ce qui fait la différence, comment se fait-il que là-bas il n’y a pas de solutions, et qu’ici nous faisons en permanence la connaissance de propositions toujours plus nouvelles ? A mes yeux, la réponse est simple : la Hongrie a une constitution moderne, l’Union européenne n’en a pas, et elle ne peut peut-être même pas en avoir du fait de sa nature. C’est pourquoi les Hongrois – contrairement à l’Europe – ont la possibilité d’exprimer clairement d’où ils viennent, où ils se trouvent et où ils souhaitent aller. Et face à cela, l’Europe se refuse à dire d’où elle vient, ne veut pas reconnaître où elle se trouve, et son horizon temporel est tellement court qu’elle ne cherche même pas la réponse à la question de savoir à quoi mène toute la politique qu’elle suit actuellement.
Une communauté qui dispose d’une constitution ressemble au sage de l’Evangile qui a construit sa maison non pas sur le sable, mais sur le roc. Notre Constitution affirme : « Nous sommes fiers que notre roi Saint Etienne, voici mille ans, a bâti l’Etat hongrois sur de solides fondations, et a fait entrer notre pays dans le monde de la chrétienté européenne ». Et je voudrais ajouter ici une citation de Lajos Kossuth , qui a déclaré un jour, dans un débat sur la liberté, que nous ne voulons pas seulement être libres, mais que nous voulons aussi être des Hongrois libres.
Cette opposition qui se dessine entre une Europe centrale pleine d’énergie et de volonté d’agir et les autres parties de l’Europe, et qui se dessine encore plus clairement à la lumière du processus constitutionnel et des débats qui l’accompagnent, a de quoi surprendre. Car si nous nous limitions à ne considérer que les faits et les chiffres, il ne devrait pas en être ainsi, parce que la population de l’Europe est tout de même supérieure à celle des Etats-Unis d’Amérique et de la Russie cumulées. C’est tout de même nous qui disposons du marché le plus vaste du monde avec 17 à 18% du commerce mondial, sur les 100 universités les plus performantes du monde 27 sont européennes, et nos secteurs industriels innovants, qui contribuent à hauteur de plus de 7% au produit intérieur de l’Europe, sont reconnus au niveau international : pour toutes ces raisons, sur la base des faits et des chiffres, l’Union européenne devrait être la puissance dirigeante du monde. Hélas, au lieu de ce rôle dirigeant, nous nous épuisons en chamailleries internes, ce que montrent très bien les attaques dont est victime la Hongrie, et tout dernièrement la Pologne, et qui sont souvent de nature constitutionnelle. Ce phénomène est justement apparu au premier plan en Pologne à propos du débat sur la Cour constitutionnelle, alors qu’en Hongrie c’était à l’occasion du débat sur la Constitution elle-même. Nous devons sans doute souligner – et cela comporte une obligation d’action pour les acteurs de la vie publique hongroise – que le Traité fondateur de l’Union dispose assez clairement que l’Union européenne est constituée d’Etats-membres et que les institutions européennes doivent servir la collaboration entre les Etats-membres. Or la pratique actuelle en est l’exact contraire, dans la mesure où les gens ont l’impression que l’Union européenne est constituée des institutions européennes et que les Etats-membres devraient servir l’action de ces institutions. Je crois que nous avons là la réponse à la question de savoir pourquoi une puissance dont la population, le marché, la force créatrice la rendent potentiellement capable de diriger le monde est incapable de faire émerger ces potentialités et pourquoi elle consacre toute son énergie non pas aux combats de l’avenir, mais à morigéner ses propres membres. Sur ce point, je voudrais seulement affirmer que l’Europe dispose malgré tout, à ce jour, des capacités à l’aide desquelles elle pourra regagner son lustre d’antan.
Tout débat constitutionnel impose d’aborder la question de la relation entre la réalité politique et les grands principes philosophiques. Un ordre constitutionnel s’appuie toujours sur une communauté existante, une communauté faite d’individus de chair et d’os conscients de leur histoire et de leur identité, et non pas sur des principes abstraits. Les principes abstraits aident à formuler les principes de vie et les intérêts de cette communauté, mais ils ne peuvent pas les remplacer. Et s’ils s’y essayaient, se présenterait le problème que M. le président de la Kúria a évoqué devant nous en parlant du respect du droit. Un penseur européen a dit un jour que les considérations philosophiques sont trop fines et trop abstraites pour qu’elles puissent jouer un rôle dans la vie de tous les jours, ou éteindre tout sentiment, parce que l’air est tellement raréfié au-dessus des nuages que nous ne pouvons pas l’inspirer. Cela illustre bien la raison pour laquelle les politiciens se retrouvent aux abords des processus constitutionnels : ce sont en effet eux qui, aux côtés des juges constitutionnels et des professeurs de droit qui gèrent avec assurance les principes abstraits, ont pour mission de faire apparaître cette communauté faite de chair et d’os avec toute sa réalité, en rappelant constamment aux constituants que l’œuvre en cours de création doit en fin de compte servir les principes de vie et les intérêts de cette même communauté.
Un des fondements les plus évidents de tout processus constitutionnel est la sécurité de la communauté, qui est prioritaire sur tout le reste, et c’est de cela que je voudrais maintenant dire quelques mots pour terminer. Notre Loi fondamentale s’exprime de manière claire et concise lorsqu’elle déclare que la Hongrie protège ses citoyens (article G, alinéa 2). Cela signifie qu’aux termes de la Loi fondamentale, notre devoir est de protéger nos concitoyens, mais ce devoir se présente aujourd’hui à deux niveaux. D’une part à l’intérieur de nos frontières, parce qu’il importe de faire respecter sur notre territoire nos obligations résultant de la Constitution. C’est le but de la révision constitutionnelle actuellement en cours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et destinée à compléter les dispositions existantes sur les situations d’exception. Mais il y a aussi un second niveau, parce qu’il est clair que si nous sommes membres de l’Union européenne, et si nous faisons partie de ce club encore plus restreint qu’est le club de Schengen, il est clair que toute défaillance dans la sécurité des citoyens de l’Europe comportera tôt ou tard des problèmes graves pour la Hongrie aussi. Pour cette raison, lorsque nous avons le devoir d’assurer la sécurité des Hongrois, le gouvernement hongrois ne doit pas seulement intervenir dans l’élimination des dangers susceptibles de survenir sur son propre territoire, mais il doit aussi agir au niveau de la détermination des situations intérieures à l’Europe susceptibles de représenter un danger pour les électeurs hongrois. C’est pourquoi, lorsque nous avons déposé sur la table de l’Europe un programme d’action intitulé Schengen 2.0, le gouvernement hongrois n’a fait que satisfaire à son obligation constitutionnelle d’avoir à assurer la protection de ses concitoyens. Nous devons donc affirmer très clairement qu’il faut protéger les frontières extérieures, que tous ceux qui font partie, comme nous, de l’espace Schengen doivent en faire autant, et que si un Etat n’en est pas capable, il faut le faire à sa place, et s’il n’y est pas disposé – ce qui est son droit souverain – il faut l’exclure de la zone Schengen, ou tout au moins y suspendre sa participation.
De la même manière, il appartient à nos obligations constitutionnelles d’affirmer très clairement que les procédures applicables à ceux qui souhaitent entrer chez nous doivent être diligentées à l’extérieur du territoire de l’Union européenne, dans des environnements clos et surveillés. C’est là une des conditions préalables de la sécurité des citoyens hongrois. De la même manière, l’on attend légitimement du gouvernement hongrois – notamment sur une base constitutionnelle – qu’il intervienne pour faire en sorte que les migrants illégaux soient renvoyés sans attendre vers leur lieu d’origine sûr ou vers des pays de transit sûrs. De la même manière, il relève des obligations constitutionnelles du gouvernement hongrois d’aujourd’hui de déclarer clairement que sa politique de développement et d’octroi de visas sur une base privilégiée ne peut être appliquée que vis-à-vis de pays qui respectent les règles dont le respect est indispensable pour la sécurité de nos électeurs et de nos concitoyens : en d’autres termes, ce n’est pas une politique de développement et d’octroi de visas sans conditions qu’il faut pratiquer en direction des pays extérieurs à l’Europe, mais bel et bien l’assortir de conditions. Et enfin, il faut affirmer clairement que les réponses aux défis démographiques et du marché de l’emploi doivent reposer sur les décisions souveraines des Etats-membres. C’est là aujourd’hui le plus grand défi auquel est confronté le système constitutionnel hongrois.
Si vous lisez les propositions publiées par la Commission européenne, vous y trouverez textuellement les phrases affirmant que les problèmes démographiques et économiques de l’Europe peuvent être traités par l’immigration, et que pour cette raison il faut faire de la politique migratoire une politique européenne commune. En d’autres termes, ils souhaitent gérer un problème européen au travers d’une politique européenne commune par l’escamotage et la subtilisation de la maîtrise de la politique migratoire qui relevait jusqu’à présent de la compétence des Etats-membres. Cela nous ramène là où M. le juge Sulyok nous a conduits, c’est-à-dire qu’il faudra savoir s’il appartient à l’identité constitutionnelle ou non que les Etats-membres décident eux-mêmes s’ils souhaitent répondre à leurs défis démographiques et économiques par la mobilisation de leurs propres ressources, de leurs ressources intérieures à l’Europe, ou bien s’ils souhaitent faire appel à des ressources extérieures à l’Europe. La question n’est pas de savoir laquelle de ces deux approches est la bonne, mais de savoir si les Etats-membres ont le droit ou non de décider laquelle ils choisissent. Par la suite, c’est l’Histoire qui jugera si ces choix ont été valables, s’ils ont mené au succès ou à l’échec. La question n’est donc pas de savoir quelle est la bonne politique démographique et économique, mais de savoir si nous avons le droit ou non de décider si, pour remédier à ces problèmes, nous souhaitons nous reposer exclusivement sur des ressources intérieures, intérieures à nos nations et à l’Europe.
Cela veut dire que si nous voulons satisfaire à notre obligation constitutionnelle consistant à protéger nos concitoyens, nous devons savoir qui sont ceux qui veulent entrer chez nous et pourquoi, c’est-à-dire que nous avons le droit de choisir, de déterminer avec qui nous voulons cohabiter et avec qui non. Il n’y a là aucune contradiction avec le principe de la protection universelle des réfugiés, vu que la constitution de la Hongrie dispose dans son article 14 alinéa 3 : « La Hongrie – si ni leur pays d’origine, ni un autre pays ne leur offre protection – accorde, à leur demande, le droit d’asile aux citoyens non hongrois qui, dans leur pays d’origine ou dans leur pays de résidence habituel, sont soumis à des persécutions en raison de leur appartenance raciale, ethnique, sociale ou en raison de leurs convictions religieuses ou politiques, ou si leur crainte d’être soumis à de telles persécutions est fondée.
Il en résulte que tout en acceptant le principe universel de protection dû aux réfugiés, nous déclarons clairement qu’il n’y a pas de place chez nous pour les terroristes, et que nous avons le droit de traiter la crise démographique avec nos propres moyens. Et plus particulièrement si nous considérons que notre Profession de foi nationale dispose : « Nous nous engageons à préserver et à défendre notre héritage, notre langue unique, la culture hongroise, les valeurs humaines et naturelles du Bassin des Carpates. Nous nous sentons responsables vis-à-vis des générations futures, et c’est pourquoi nous préservons les conditions de vie de ceux qui nous suivront par une utilisation intelligente de nos ressources matérielles, spirituelles et naturelles. Nous croyons que notre culture nationale constitue une contribution utile à la diversité de l’unité européenne. » Si nous traduisons tout cela sur le terrain de l’action politique, Mesdames et Messieurs, alors j’en conclus que le gouvernement hongrois n’est pas habilité à soutenir des mouvements de population qui produisent des résultats contraires aux engagements contenus dans le paragraphe que je viens de citer. Ni le pouvoir législatif, ni le gouvernement ne peut appliquer constitutionnellement une telle politique. Je pourrais même dire, pour être très clair : l’islamisation est anticonstitutionnelle en Hongrie.
Mesdames et Messieurs,
En conclusion, je voudrais à nouveau remercier tous ceux qui, voici cinq ans, par leur travail assidu, ont mené à bien cette remarquable construction nationale, et je remercie tout particulièrement tous les citoyens hongrois qui ont fait entendre leur voix à l’occasion de la consultation nationale sur la Constitution, et ont assumé la responsabilité de l’élaboration conjointe de notre Loi fondamentale.
Je vous remercie de votre attention.